
"A toi pour toujours ta Marie Lou" de MichelTremblay mis en scène par Christian Bordeleau
assisté par Emilie Schnitzler.
Le succès de cette pièce ne se dément pas depuis sa création , succès au Th de l'Essaion où nous l'avions découverte puis au Avignon Off 2014,2015 et dans toute la France.Une oeuvre magnifiquement portée par ses acteurs et mise en scène avec brio!
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copyright Jules Pajot
Voici une pièce à couteaux tirés qui vous remue jusqu’aux entrailles de la première à la dernière réplique. Considéré comme le Balzac du XXès, son auteur Michel Tremblay, né en 1942, est un des plus grands écrivains dramaturges québécois, célébré Outre Atlantique et dont les œuvres sont traduites en 35 langues dans le monde. Ses nombreux ouvrages dont des romans, des scenarii, des comédies musicales voire même un opéra, sont d’une beauté littéraire atypique, ce qui lui a valu plusieurs titres au Canada mais aussi en France où il est fait Chevalier des Arts et des lettres.
« A toi pour toujours, ta Marie Lou » que nous découvrons ce jour là, nous prend aux tripes par son réalisme sombre et son écriture des plus crues .En effet, la pièce axée autour d’un drame familial qui se noue et se dénoue sous nos yeux, est d’une grande force narrative et psychologique. Cette dernière en est soulignée par une mise en scène réussie et très épurée de Christian Bordeleau, aussi l’adaptateur de l’œuvre et spécialiste de l’auteur .
Elle est imaginée dans un genre presque cinématographique qui n’est pas sans rappeler nos bons vieux polars des années 60. La scénographie bien pensée autant que les costumes donnent un ton résolument réaliste à l’ensemble notamment très bien soutenu par le jeu de lumières de Christian Mazubert. Les quatre comédiens –Cécile Magnet en superbe Marie Lou, Yves Collignon , en Léopold plus vrai que nature, Sophie Parel ,d’une belle justesse expressive dans le rôle de Carmen et Marie Mainchin, Manon, très convaincante en dévote , nous livrent une interprétation sans faille, avec un coup de cœur pour Yves Collignon, d’une puissance dramatique à toute épreuve.
La direction dramatique est parfaite et se base sur le réalisme puissant et sur l’authenticité du jeu de ces quatre personnages. Ainsi, malgré le fait que nous soyons distraits par le langage inattendu des acteurs utilisant un argot québécois, le « joual », inexorablement, nous devenons les témoins impuissants de leur tragique destinée.
L’action débute telle un drame psychologique où se jouent deux épisodes de vie sous nos yeux .Le premier se déroule de nos jours et met en scène deux sœurs Carmen et Manon, de jeunes femmes encore, réunies dans la maison familiale dix ans après qu’un épisode brutal s’y soit déroulé .Le second met en mouvement comme filmés en gros plans et dans un feed back très bien amené, les derniers moments vécus par les petites avec leurs parents …Une intrigue se noue …
« Veux tu te taire ! ». Voici une des répliques cinglantes que fait Marie Lou à son mari Léopold et qui peut résumer à elle seule toute la trame psychologique de cette tragédie familiale .Marie Louise dit Marie Lou, est une épouse abîmée par la vie et la misère qui évoque la religion comme un calice que l’on boit :elle croit en La mère de Dieu qu’elle nomme « la Sainte Vierge de Paix ».Elle est marquée par des années d’isolement psychologique lié entre autre à une éducation subie dans la violence , le dénuement et l’ignorance dont celle de la sexualité féminine. Cette dernière amène chez elle un puissant sentiment de répulsion et de peur voire d’horreur : « Quand tu te jettes sur moi comme un écoeurant » vomit-elle ainsi à son mari .
Léopold, son époux est un homme devenu ou né brutal, tout aussi aigri que son épouse, travaillant durement pour subvenir aux besoins d’une famille de quatre enfants dont le comportement violent est la conséquence des ravages causés par l’alcool, le manque cruel d’éducation et la frustration sexuelle : « Si t’agissais pas toujours comme une vieille fille qui garde sa cerise dans le frigo » dit-il crûment à sa femme .Ainsi, la violence conjugale est devenue le mode de communication et de vie quotidienne du couple. Comment alors penser à une fin heureuse pour toutes ces personnes promises à une vie sans enchantement ?
Mais dix ans après Carmen veut y croire et sauver sa sœur du péril religieux quotidien dans lequel elle se terre car depuis toutes ses années d’absence, Manon n’est plus la petite compagne de jeu et de « guéguerre « de sa sœur .Elle s’est muée dans un monde où le quotidien et la sexualité sont fantasmés par la prière et la dévotion : «Des fois, j’ me mets à frissonner, j’suis tellement bien que j’en perds l’équilibre .C’est vrai Carmen, on dirait que j’flotte… » dit-elle à sa sœur qui se désespère de la voir ainsi se réfugier dans la névrose et le mensonge de sa vie .Elle lui en veut aussi tellement de se « victimiser » ainsi, à tel point qu’ elle lui lance à la face, aussi dans un dernier effort pour la faire réagir : « Quand j’serai grande, j’veux être grandement malheureuse et puis martyr … »
On se prend ces propos acides comme un mur d’eau, glacé, en pleine canicule …Cette comédie grinçante agit sur nous comme un coup de fouet …Tous les tiroirs cachés de l’intimité familiale sont vidés jusqu’à la découverte de ce portrait porteur d’un espoir de vie heureuse qui aurait pu être et qui ne sera pas .
« A toi pour toujours , ta Marie Lou » connaît un succès sans faille depuis sa création à la Folie Théâtre en automne 2011 , puis à l’Essaïon et au Lucernaire en passant par la 2è édition cette année au Festival Off d’ Avignon …Une création de Michel Tremblay mise en scène par Christian Bordeleau à découvrir pour voir ce qu’on ne veut pas savoir et pour ne pas avoir peut être à le vivre un jour…
Safia Bouadan
Auteur :Michel Tremblay
Adaptation et mise en scène :Christian Bordeleau
Avec Cécile Magnet, Yves Collignon, Sophie Parel et Marie Mainchin

Christian Bordeleau /copyright Safia Bouadan