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Interview de Marc Saez pour la création « A nu » adaptée du scénario de Tom Fontana , issue du film « Strip Search » réalisé par Sidney Lumet et censuré aux Usa dés sa sortie.

 

 

 

 

 

 

 

SB : Bonjour Marc Saez .Nous sommes très heureux de cette interview qui fait suite à notre rencontre lors du Festival d’Avignon Off 2012.Cette création courageuse a obtenu dés la première représentation, un énorme succès tant auprès du public qu’auprès de la presse. Comment l’expliquez- vous ?

 

M S :  C'est un succès rassurant car vu le thème et le message qu'il porte, voir des gens se déplacer pour des sujets aussi sensibles que la liberté et la privation de celle ci et pas uniquement du théâtre de la gaudriole rassure un peu sur l'humanité . …En effet, ici, il s’agit de traiter de méthodes utilisées par la CIA lors d’interrogatoires pour obtenir des aveux de personnes qui ne sont peut être pas coupables. Cette pièce est tirée d’un film « Strip Search » de Sidney Lumet qui est un réalisateur engagé avec des thématiques fortes. Tom Fontana en a écrit le scénario : il est le créateur de séries comme « Oz », « Homicide » ou encore les « Borgia» plus récemment. On a bénéficié d'un formidable bouche à oreille et le public parlait autant de la scénographie qu'ils avaient adoré que de la formidable interprétation des comédiens. C'est une pièce qui fait remonter les émotions profondes. Du coup elle apparaissait comme salvatrice et libératrice pour les spectateurs venus partager ces moments avec nous..

 

SB : Pouvez vous parler justement de l’histoire de la pièce en elle-même ?

 

MS : Oui. Elle met en scène quatre personnages au cours de deux interrogatoires en parallèle en Chine et aux Etats Unis : dans l’un des lieux où ils sont retenus prisonniers , un chinois interroge une américaine et dans l’autre, un américain interroge un arabe .Les dialogues sont les mêmes mais les méthodes vont changer.

 

S.B : Cela correspond à celles employées aussi dans un contexte politique et militaire qui se situe juste après les attentats des « Twin Towers  » et qui a vu alors juste après le durcissement de ces interrogatoires ?

 

M S : Oui. Ils ont voulu s’ultra-protéger avec des méthodes qui puissent faire face à ce type d’attentats terroristes qu’ils n’avaient pas pu anticiper malgré leur capacité de renseignements. Du coup, ils ont élaboré des textes de lois qui ont fait qu’on pouvait « aller jusqu’à torturer » ailleurs que sur leur territoire et qu’il y a eu des cellules anti-terroristes un peu partout. A l’époque de la sortie du film, Tom Fontana et Sidney Lumet ont souhaité faire un constat de cette terrible réalité qui faisait qu'on torturait au nom de la Sécurité Nationale. Il faut savoir que l'Amérique n'était pas encore au courant de l'existence des prisons d'Abou Graib. Tom Fontana s’était fait traiter de traitre vis-à-vis de sa patrie car il ne pouvait pas dire cela alors qu’il y a avait des soldats américains qui mourraient pour elle.Cela a été révélé après et le film a eu un parcours chaotique et il n’a été diffusé de fait, qu’une seule fois.

 

S B : Comment ce film est venu à toi, un artiste français ?

 

M S : -rires-C'est venu car avec Véronique Picciotto, au sein de notre compagnie théâtrale " Les séraphins", on a cette volonté de traiter des thèmes qui touchent les gens, des thèmes forts qui parlent de leur temps. Même combat que Sidney Lumet et Tom Fontana. La rencontre était inévitable (rires).Et puis j'avais vu ce film que je trouvais remarquable et j'étais aussi tombé sur un reportage qui parlait d'une bavure d'un homme entrainé a la sortie d'une mosquée avec une cagoule sur la tête et qu'on avait trimballé dans plusieurs pays avant que la Cia se rendre compte que c'était une erreur. Je trouvais ça terrible... l'amalgame arabe terroriste, le délit de sale gueule, je voulais traiter de ça aussi.

 

S B : Ce film qui n’est passé qu’une semaine et qui a été censuré ?

 

M S : Oui, il y avait les séquences d'internement mais aussi beaucoup de scènes extérieures. les dialogues étaient les mêmes dans les deux cellules et ça jouait pareil aussi. Moi j'ai voulu montrer deux aspects : d'un côté un combat de boxe, de l'autre une partie d'échec. j'ai vu le potentiel incroyable qu'il pouvait y avoir en plaçant le public au cœur de ces interrogatoires qui se déroulaient sous leurs yeux : en plaçant le spectateur au sein même de la cellule terroriste , j’ai pensé qu’il allait être autant secoué que l’interrogé . Il se retrouverait ainsi en empathie avec lui et il comprendrait ce qui peut se passer dans ce laps de temps où une personne est totalement privée de ses droits alors que les agents entraînés à obtenir leurs aveux avaient de leur côté tous les droits . C’est ce phénomène empathique qui s’est passé à Avignon.

 

S B : Quel a été l’impact sur le public exactement?

 

MS : Tout le monde n’a heureusement pas vécu les attentats du 11 septembre en direct mais indirectement via les médias. Aussi, après le spectacle, des personnes sont venues me parler de la guerre, de la pression psychologique vécue dans leur travail et d’autres de celles dans leur couple .La pièce avait mis à jour des choses et je me suis dit : « Là, c’est gagné !» car pour moi, le but du théâtre est de véhiculer des émotions, de faire ressentir des choses , ce n’est pas du pop corn movie.

 

S B : En fait, tu amènes toutes les générations et même la jeune génération, puisqu’il y avait des adolescents dans la salle dont ta fille Eva Saez, à réfléchir en amont sur la place que peut avoir un individu dans une société et les limites qu’on peut poser quant à ses lois pouvant le priver de sa liberté ou pour la préservation des droits du simple citoyen en regard de ces lois politiques ouvrant la porte à l’usage légitimé d’actes de torture commis au nom de la sécurité de l’état et du territoire ?

 

MS : Oui, tout à fait. Dans le spectacle, la nudité est présente car je ne voulais pas mentir aux gens sur la vérité de ces actes commis à l’encontre des interrogés dans ce cadre. Je ne voulais pas de rapport de type voyeurisme à la chose même si on voit ces corps nus évoluer sur scène, le regard qu'on pose dessus ne peut pas être un regard voyeur parce qu'à travers eux, c'est nous qu'on déshabille..Mon propos était beaucoup plus épidermique, profond, viscéral, justement à propos de la liberté. L’affiche titre « A nu » et elle montre un dos de femme avec des traces de lacérations et le drapeau illustre d’un côté celui américain, de l’autre, celui des chinois. On voit les tours qui explosent en fond. Donc l’affiche montre de quoi le sujet du spectacle va traiter, à savoir des attentas du 11 septembre, de la torture et de la nudité dans ce cadre. Je ne suis pas un provocateur. Je veux qu’il y ait prise de conscience qu’il peut y avoir privation de liberté au sein même des démocraties à qui les lois donnent ce pouvoir là. Mais ceci, sans provoquer ni choquer les gens même si le thème est difficile. Tout a été pesé sans gratuité ou afin de créer des effets par la provocation.

 

SB :  Comment s’est fait le choix des acteurs? Le travail avec eux ?

 

MS : Pour celui de Véronique Picciotto, étant ma compagne, je la connais bien et je sais qu’en tant qu’actrice, elle recherchait tout comme moi des sujets forts à défendre en interprétation. Elle vous le dira aussi, ce sujet lui parlait personnellement donc je n’ai eu aucune hésitation à la prendre dans le rôle de cette américaine. Pareil pour Helmi Dridi , l’acteur tunisien qui avait aussi un rôle très difficile à porter notamment avec cette nudité. On serait en Angleterre, en Allemagne, ce ne serait pas pareil car l’acteur a une grande liberté quant à son corps mais en France, on a un rapport différent avec la nudité et au don de soi aussi .Ici, on se veut libre mais il existe une sorte de pudeur de l’artiste qui à un moment donné ne peut oser des choses .Là, les acteurs sont à nu mentalement et physiquement. C’est un cadeau que le comédien fait à un metteur en scène comme moi que de me suivre dans mon besoin de pousser plus loin ce rapport au corps pour servir le sujet et la cause.Je ne sais pas si j’aurais pu le faire avec une autre actrice ou acteur car je connais Helmi depuis un moment , il était aussi acteurs comme moi sur les films de Jacques Malaterre. On s’est reniflés artistiquement ! –rire-.Evidemment, étant tunisien ,avec les évènements de la révolution éclatant dans son pays, cela l’a interpellé fortement aussi.

 

Pour ce qui est de mon travail de direction d'acteur.Tout d'abord, Véronique est une formidable actrice. Facile a diriger car avec une grande intelligence de jeu, c'est quelqu'un qui propose aussi et qui cherche. Une vraie bosseuse. J'adore les acteurs qui sont méticuleux et fouillent pour leurs rôles. Je souhaite à tout metteur en scène ou réalisateur de travailler avec elle un jour, c'est un plaisir de construire ensemble et elle donne beaucoup. Elle comme helmi donnent des émotions incroyables et à fleur de peau à chaque fois, je leur suis très reconnaissant de ça. C'est que du bonheur pour un metteur en scène pas de conflits entre nous, pas de coups de gueules de coups d'égo, on avance on corrige et le travail se voit. Anatole fait un très bon interrogateur chinois aussi il a commencé comme un diesel mais la il est taillé pour le costume.

 

S B : Il fallait donc des comédiens réellement impliqués en tant que personnes, citoyens et aussi capables de traduire cet engagement en tant qu’artistes au plus proche de la vérité des personnages et de ce qu’ils véhiculent ?

 

M S : Oui .Il fallait qu’il y ait un véritable écho en eux pour porter ces rôles surtout dans ce type de spectacle qui reste par ailleurs très pédagogique –on a fixé l’âge limite à quatorze ans-.Je voulais qu’avec eux, on oublie cette nudité pour se concentrer sur le sujet. Quand j’ai demandé les droits d’adaptation et de production de ce film, je savais que je tapais à la bonne porte car Sidney Lumet était une personne engagée qui s’était déjà battue pour ses créations , un cinéaste de son temps comme l’est Tom Fontana qui aime relater des moments forts de l’histoire ou politiques .je voulais que le texte soit accessible à tous, que le langage ne soit ni poétique ni intello, je voulais toucher tous les humains avec leurs sensibilités et ceux quelles que soient leurs classes sociales. Toucher celui ou celle qui aime Homeland et ne va pas au théâtre comme celui ou celle qui a son abonnement à l'année dans le subventionné.

 

SB : C’est une réussite en effet car le vrai choc n’est pas sur la nudité mais bien sur l’émotion liée à la prise de conscience de la privation de liberté, l’atteinte à l’intégrité de la personne, la souffrance subie par les proches restés sans nouvelles car on le voit dans la pièce : pendant ce temps là , les gouvernements respectifs ferment les yeux alors qu’ils savent ce qui se passent à l’intérieur des geôles ?

 

MS : Bien sûr, il y a des choix de mots qui sont faits .A un moment, l’interrogé dit « Mais je suis accusé de quoi ? « et l’interrogateur dit « Vous n’êtes pas accusé, vous êtes là pour un entretien ».On joue sur des mots alors qu’on sait ce qu’il en est de leur sort.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

SB : Comment une compagnie telle que la vôtre « Les Séraphins « peut-elle porter un tel projet ?

 

MS : Pour l’instant avec le cœur, l’envie, l’énergie et la passion des artistes et avec des personnes qui entourent le projet .Cela fait des années avec Véronique qu’on fait du doublage qui nous fait gagner notre vie à côté mais on en veut pas rester assis dans une forme d’art. Je suis sorti du Conservatoire de Marseille et j’ai eu aussi une opportunité de devenir animateur radio mais je suis monté à Paris pour faire le métier d’acteur .J’ai toujours essayé de me diversifier, d’être du côté de la caméra puis de l’autre. C’est une auto-production mais c’est vrai qu’on est en bataille pour assurer la communication promotionnelle...C’est notre devoir de parler de spectacle comme cela et de faire mentir la rumeur qui disait qu’une pièce sur la torture n’intéresserait personne.Je répondais à ces propos : « Détrompez vous, les gens vont encore au théâtre et ils ne vont pas forcément voir des sujets faciles ou débiles … Ils recherchent une émotion, une vérité …».

 

S B : En effet, le succès de « A nu » commence déjà à se faire sentir aussi depuis les premières représentations parisiennes au 20e Théâtre . Bravo à vous et à toute cette troupe et équipe formidable .« L’Onde Bleue :Regards et Créations » vous donne rendez vous à tous du mercredi au samedi à 19h30 et le dimanche à 15h .La pièce « A nu » est à l’affiche depuis le 5 mars jusqu'au 20 avril 2014. C’est une pièce populaire « coup de poing » qui ne vous laissera pas indifférents.A bientôt et merci beaucoup Marc Saez pour cette interview très porteuse.

 

Propos recueillis par Safia Bouadan-sociologue, Observateur au CIB depuis 1999 et expert au Geobs de l'Unesco depuis 2007.

 

 

 

Marc Saez et Véronique Picciotto vous présentent À Nu, jouée du 5 mars au 20 avril 2014, du mercredi au samedi à 19h30 et le dimanche à 15h au Vingtième Théâtre (7 rue des Plâtrières, 75020 Paris)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Distribution:

 

Adaptation et mise en scène :Marc Saez d'après le film de Sidney Lumet"Strip search" écrit par Tom Fontana

 

Avec Véronique Picciotto, Pascale Denizane,Helmi Dridi et Anatole Thibault

 

Lumières:Christian Mazubert

 

Design sonore:JB Saint-Pol

 

 

 

 

 

copyright David Krüger

Teaser de la pièce "A nu"

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