« La résistible ascension de Arturo Ui » de Bertolt Brecht mis en scène par Victor Quezada-Perez …Une satire politique sombre et décapante pour une version théâtrale particulièrement fascinante !A voir !
C’est au détour d’une ruelle d’Avignon, que nous croisons la troupe atypique de la Cie Umbral. Des clowns de noirs ou de blancs vêtus, au regard plutôt sombre et triste qui nous amène à nous questionner sur le spectacle théâtral proposé et nous incite déjà à venir voir le spectacle éveillant ainsi notre curiosité.
Comment une telle œuvre dramatique , dérangeante et complexe portant sur la dictature politique , le crime et la corruption peut -elle être développée lorsqu’elle met en jeu des personnages grimés au nez rouge ?
« La résistible ascension d’Arturo Ui » est en effet une création littéraire très sombre de Bertolt Brecht écrite en 1941 .elle y relate l’arrivée au pouvoir d’un parrain de la mafia mais on y voit vite une ressemblance puissante par l’historicité et la dramaturgie avec celle d’Adolph Hitler dans les années 30.La scénographie comme le confie le metteur en scène Victor Quezada-Perez s’inspire du cinéaste Robert Wiene en jouant sur des tableaux qui se succèdent come autant de petites saynettes décomposées en puzzle noir et inquiétant ,notamment avec la succession des corps pendus , sorte de poupées de chiffons évoquant des membres exécutés au fur et à mesure que l’intrigue criminelle avance et que le pouvoir tentaculaire se met en place.
Devant nous, se dresse un décor plateau sous la forme de jeu d’échec où se nouent et dénouent progressivement les relations stratégiques entre des membres puissants sur fond de crime organisé divisé en deux clans tels les pions d’une guerre sanguinaire . Tous sont à la solde d’un Boss, Hinsborough jugé vieux et plus à même par ses décisions de diriger le cartel et Arturo Ui issu du grand banditisme, arriviste, immoral et pervers. Ces scènes fascinantes se déroulent sur un fond de musique illustré par la présence d’un piano et d’une chanteuse interprétant le répertoire de chansons des années trente rajoutant encore un zest d’angoisse à l’atmosphère ambiante déjà très pesante .On est plongés alors dans un symbolisme quasi cinématographique au pouvoir hypnotique et envoûtant…
Le récit décrit les actions de criminels en bandes organisés afin de tirer partie d’une situation économique très alarmante : le trust, ici le « Trust du Chou Fleur » a pour stratégie d’obtenir des appuis politiques et financiers ce quelques soient les méthodes employées . Arturo Ui, personnage élégant et nonchalant mais à la cruauté terrible , va faire assassiner tous les hommes de pouvoir qui lui barrent la route , tout en contraignant les grands et petits fournisseurs et le petit peuple à se plier à ses exigences. De corruption en corruption, de crime en crime, il impose son dictat par la terreur au beau milieu de ce marché financier et humain, allant jusqu’à séduire une veuve quasiment au pied du cercueil de la victime, son mari dont il a commandité le meurtre après s’être servi de lui ...
Le jeu des comédiens est aiguisé, chacun est à sa place sur ce grand échiquier du Mal et chacun défend son personnage avec brio. Les spectateurs, grâce à un texte très subtil, une adaptation très originale et un jeu d’acteur très poignant, vont découvrir qui se cache derrière le véritable visage d’Arturo Ui…Une Bête Terrible…Cette parabole avec la montée du nazisme est d’une telle clarté que chacun peut en démonter le mécanisme qui conduit à la mise en place inexorable d’une dictature..celle du nazisme est bien celle évoquée ici !
Et tandis que le peuple vote pour Arturo Ui à « Cicero ou à Chicago », personne ne remarque l’ascension du Monstre dévorant de ses griffes sanguinaires et acérées les gouvernements et les peuples, mettant en place un ordre gouvernemental, puissant, démoniaque et paralysant.
Voici une pièce qui nous fait froid dans le dos et qui nous laisse vraiment très perplexes quant à la façon dont chacun dans la salle peut sentir clairement à travers ce propos dramaturgique et de par la mise en scène choisie que, devenu un « clown de notre société politique », nous pourrions faire demain le jeu de pouvoir macabre d’un Arturo Ui. Ce spectacle est certes une magistrale démonstration : il nous montre la barbarie humaine, la folie –in-humaine et invite à réfléchir sur la Bête humaine .
A la fin de la représentation, un membre de la troupe explique leur désir de lutter pour le statut de l’intermittent à travers leur création et la présentation de ce spectacle.
La résistible ascension d’Arturo Ui est une farce noire et cruelle d’une portée sans pareil auprès du public qui offre malgré l’heure très tardive une salve d’applaudissements aux neuf actrices et acteurs venus faire le salut final , cette fois sans leur nez !
Ils sont fabuleux et à l’affiche au Théâtre de L’Oulle tous les soirs à 22h30 durant le Off 2014 !
Pascale Di Constanzo et Safia Bouadan

