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Interview-portrait de Caroline Loeb réalisée à l'occasion de sa pièce "Françoise par Sagan&





S.B: Bonjour Caroline. Nous sommes actuellement à " La Closerie des Lilas ", un lieu qui a vu passer des artistes, intellectuels avant-gardistes et qui te parle beaucoup?

C.L: J'y ai passé des années quand j'avais à peine vingt-ans. On commençait à "La Coupole" puis "La Closerie "pour finir au "Rosebud". J'étais avec la bande de Jean Eustache dite "La bande des quatre" avec Jean-Jacques Schulh, Jean-Noël Picq et celui que l'on nommait le beau Georges. Ils discutaient beaucoup de cinéma et ils se racontaient aussi leurs histoires de nanas ...C'est vraiment ce que l'on retrouve dans le film "La maman et la putain " de Jean Eustache.


S.B : Que faisait Caroline au sein de ce groupe?

C.L: Je me le demande encore car j'étais très jeune mais déjà à l'époque, Picq disait que je n'étais pas comme les autres filles, que j'étais comme un mec. Je n'étais pas du tout comme un mec mais je portais déjà en moi pour eux cette ambivalence et le fait d'être une femme un peu différemment. C'est un mystère pour moi de savoir ce que je faisais là, mais j'aimais les écouter raconter leurs histoires qui étaient parfois trash aussi. Ils avaient un vrai goût du paradoxe et on riait beaucoup.


S.B: Tu viens d'adapter au Théâtre du Petit Montparnasse, le recueil d'interviews de Françoise Sagan "Je ne renie rien " paru chez Stock. Tu en as réalisé un magnifique monologue "Françoise par Sagan" mis en scène par ton complice Alex Lutz. La pièce à l'affiche depuis fin septembre remporte le suffrage du public et de la presse. Dans la salle, on ressent que l'authenticité de ton interprétation touche au cœur du spectateur par la véracité et la modernité de ses paroles. A ce propos, que dirait Françoise Sagan si elle vivait de nos jours?

C.L : Elle dirait ce qu'elle disait de son vivant qui reste d'une force, d'une présence et d'une réalité incroyables. C'est pour cela que j'ai voulu adapter ses interviews. Lorsqu'elle parle de la sexualité omniprésente, de cette forme de terrorisme du bonheur, de la vulgarité de la télévision, cela n'a pas bougé aujourd'hui et c'est même pire encore.


S.B: Tu aimes particulièrement ces femmes et auteures avant gardistes aussi par leurs engagements et leurs comportements atypiques voire révolutionnaires pour leur temps?


C.L: C'est vrai que j'aime ces femmes libres qui naviguent sur l'ambivalence et qui ont une façon d'être femme bien à elles, en échappant aux clichés.


S.B: Elles sont des combattantes aussi ?

C.L : Oui, cependant Sagan n'était pas vraiment une combattante . Elle était de gauche, elle a signé des engagements importants pour la guerre d'Algérie, pour l'avortement mais elle était dans un quotidien fait de plaisirs, de littérature et d'amitié. .


S.B: On lui a beaucoup reproché par ailleurs ses mondanités?

C.L: Oui et cela a fait de l'ombre à son œuvre .


S.B: Certes ...En quoi, cela nuirait plus à une femme qu'à un homme?

C.L: Les femmes ont toujours été beaucoup moins respectée que les hommes. C'est pour cette raison que George Sand a choisi un nom masculin, pour être lue comme un auteur et non comme une "femme qui écrit".

A cette époque , leur littérature était considérée comme des petites choses ... George Sand a accompagné la révolution de 1848, elle a côtoyé les gens qui ont fondé le socialisme. C'était une intellectuelle mais avec les mains dans la terre avec quelque chose de féminin et de très charnel aussi. J aime ces gens qui acceptent leurs contradictions, leur part d'ombre. Une des premières phrases de Sagan est qu'il faut chercher dans tout ce qui brille, dans tout ce qui est noir et donc permet de se trouver. Effectivement, c'est en fouillant dans ses zones d'ombre qu'on peut trouver une vérité .


S.B: Qu'est ce qui t'a touchée dans ce livre recueil d'interviews "Je ne renie rien" pour que tu l'adaptes en pièce et que tu joues de cette manière si authentique et si intense au point qu'on dirait presque que tu réincarnes Françoise Sagan sur scène?

C.L : Il faut que les choses soient vitales pour moi. Le temps qu'on passe pour monter un spectacle et la bagarre que c'est pour le faire vivre sur scène justifient le fait de choisir un projet qui nous tient vraiment à coeur. Je n'aime pas ce qui est superficiel, cela ne m'intéresse pas. Je ne cherchais pas Sagan, mais je l'avais un peu rencontrée avec le film de Diane Kurys et j'y avais trouvé Sylvie Testud formidable .

Alex Lutz adore Sagan dont il a lu les œuvres, et il avait ce livre "Je ne renie rien", une compilation de ses interviews faites entre 1954 et 1992 et quand je l'ai lu, j'ai vraiment eu un coup de foudre. J'ai aimé cette écriture profonde, intime ... j'ai aimé sa façon de parler de la littérature, de la solitude, de la mort. J'ai trouvé ça fort, drôle ...Ça m'a touchée profondément.


S.B: Comment on approche ce type de travail?

C.B: Le plus dur a été d'apprendre le texte!

-rires -.

Je tiens à ce que chaque virgule et chaque mot soient à leur place et que le travail soit précis ... Puis, Alex Lutz m'a indiqué cette façon de parler en laissant la voix en l'air, en étant un peu plus dans les aigus, ce que je ne fais pas dans la vie. Pour la posture, il m'a dit de fermer les épaules ...En fait, ca s'est fait très simplement. Cette recherche s'est déroulée de façon assez évidente pour moi, sans que je lise beaucoup de livres ou d'interviews. Je crois plus à l'inspiration et à l'intuition donc j'ai plutôt fait un travail à l'intérieur de chaque mot pour approcher ce personnage afin de trouver dans chaque phrase ce qui résonnait dans l'intime ...C'est sans doute pour cela que les gens sont touchés tout comme moi. Ça me parlait à l'intérieur. Je ne suis pas passée par l'extérieur de Sagan, je suis vraiment entrée dans chaque mot ...





S.B: Tout en mettant Caroline de côté pour être Françoise?

C.L : Oui, c'est le fameux paradoxe du comédien car plus je suis elle et plus je suis moi. En fait, avec cette perruque et sans que l'on voit bien mes yeux et mon visage sur scène, la pièce est avant tout axée sur la parole. Il s'agit d'être sincère à chaque moment, à chaque seconde à tel point que j'ai le sentiment étrange que par instants, c'est elle qui est là. J ai l'impression d'être traversée par elle .


S.B: Il y a bien un souffle dans ce spectacle qui amène les larmes aux yeux pour le spectateur?

C.L : Il y a quelque chose de très émouvant dans cette façon d'être complètement vulnérable et ouverte au monde. Alex me dit qu'il pleure à chaque fois qu'il vient voir le spectacle. Les phrases de Sagan sont pleines d'une grande innocence et de son contraire aussi. On retrouve toujours ce paradoxe chez elle. Avec le public, je vis une relation particulière, physique tant on est connectés.


S .B: Peut-on parler de leçon pédagogique et si oui dans quel sens?

C.L : C'est plus une leçon philosophique ...Sagan est vraiment philosophe. Elle a un rapport au temps si singulier ...Quand elle dit que la société vole le temps des gens et quand je dis cela sur scène, cela résonne au regard du temps passé sur Facebook ou sur Instagram ...Je suis comme tout le monde et encore, j'ai la chance d'avoir beaucoup lu quand j'avais quatorze, seize, vingt ans ... J ai ce bagage là mais aujourd'hui, je ne sais pas comment les jeunes font pour avoir accès à la lecture car on n'a plus du tout le cerveau formaté pour cela.


S.B: C'est peut être dans ce sens que ce monologue est pédagogique. Il donne envie de la lire. Tu as aussi décidé d'en faire une version anglophone?

C.L : Oui, je l'apprends actuellement en anglais pour la jouer à Londres puis aux États Unis . Sagan représente la France tout comme Brigitte Bardot l'a fait. Elles ont explosé en même temps, l'une pour son intelligence, l'autre pour sa beauté, elles ont "fait" Saint Tropez. D'ailleurs, Sagan a écrit un très joli texte sur Bardot qui se trouve dans le double CD sorti chez Frémeaux où je lis les textes de l'auteure. Elle est connue dans le monde entier car elle symbolise la littérature française mais aussi une certaine idée de l'élégance et de l'esprit français. Cela me plait énormément cette idée de jouer ce monologue en anglais. Le texte dans cette langue a un charme fou.


S.B: Quelles phrases du texte, retiendrais-tu?

C.L: Il y en a tellement ..."On ne sait jamais ce que le passé nous réserve" qui est une des dernières phrases et qui va être le titre d'un album que je suis entrain d'enregistrer dont les titres vont se situer autour de Sagan. Elle me permet de revenir à la chanson et à des choses très personnelles. Il y a aussi "Odieuse époque que la nôtre, celle où le risque, l'imprévu, l'irraisonnable sont perpétuellement rejetés, confrontés à des chiffres des déficits ou des calculs ...". Ca résonne très fortement aujourd'hui.


S.B: Elle te guide en quelque sorte?

C.L: Non, je la considère plus comme une frangine tout comme George Sand.


S.B: L' œuvre de Sagan est intemporelle, était-elle une auteure visionnaire selon toi?

C.L : Non. Je pense que quand on est intelligent et juste, quand une pensée est claire et pleine de justesse , on reste dans le temps ...Quand une œuvre est profonde et vivante au moment où elle est créée , elle le reste aussi...

Pour moi la littérature, le cinéma, la peinture, la musique, c'est vibrant. Le théâtre a quelque chose d'unique et d'extraordinaire, lorsque l'on partage du bon théâtre, bien sûr .Il n'y a rien de mieux quand on vit ce moment particulier avec le public, c'est magique, on se retrouve connectée à une part de son humanité qui est très importante .


S.B: Sagan parle beaucoup des siens, de son père? Elle dénonce ce regard bourgeois au sein de sa propre famille car elle lui impose des modèles dans sa jeunesse?

C.L: Non...En fait, son père était quelqu'un d'original, de très drôle. Il ne la croit pas quand elle lui dit qu'elle écrit son premier roman. Plus tard, il lui dit même de tout dépenser quand elle commence à gagner beaucoup d'argent avec la vente de ses livres et malheureusement elle lui obéira au pied de la lettre.

C'est une bourgeoisie familiale mais pleine de fantaisie. Pour exemple, je me souviens de ce récit où son père arrive à un dîner en faisant le cheval et qu'il s'aperçoit tout à coup qu'il s'est trompé d'étage. Il repart en faisant le cheval ...En fait, quand sa fille de dix-huit ans à peine sort ce roman, il ne la prend pas au sérieux car pour lui c'est une blague. De fait, personne ne peut imaginer que cela fera un tel raz de marée .


S.B: Pourtant elle change de nom, c'est pour ne pas gêner les siens?

C.L : Non...En cherchant dans le bottin à l'époque de la sortie de son livre "Bonjour tristesse ", on ne trouve qu'une famille au nom de Quoirez. Il aurait été facile de la repérer et le fait de changer de nom était surtout pour garder une certaine tranquillité. .


S.B : Son œuvre est pleine de maturité pour son jeune âge, elle possède une écriture acérée presque politique?

C.L : C'est frappant à quel point elle a très tôt le sens du masque social. Elle parle bien du succès qu'elle subit aussi et elle dit "J'étais prisonnière d'un personnage ". Le plus grave selon elle, ce sont ceux qui se prennent réellement pour leur personnage. Sagan a toujours gardé une distance. Dans "Bonjour tristesse", elle décrit le piège de ces comportements et apparences sociales. La profondeur de ses écrits étonne pour son âge .


S.B : Son propos résonne comme vrai actuellement notamment celui portant sur le consumérisme, le matérialisme ...les médias .Qu'est-ce que tu retiens particulièrement de tous ces écrits?

C.L : Pour ce spectacle, j'ai choisi plusieurs passages où elle parle de la mort. Ça me touche beaucoup. Je trouve que les gens ont un rapport très curieux à la mort comme s'ils n'allaient pas mourir. Sagan dit à ce propos "Souvent quand je parle avec les gens, je pense soudain qu'ils vont mourir et cela me fait les regarder différemment ". Je trouve cela magnifique. C'est vraiment important de voir que le temps nous est compté, qu'on est dans l'éphémère.Le théâtre est la quintessence de l'éphémère .

Sagan a ce sens singulier de la vie et de la mort " On vit, on meurt, on écrit . "... Les mots sont le noyau dur. Cet amour des mots est essentiel avec un rapport très lucide à la vie.


S.B: Y a t-il un "après" selon toi?

C.L: Non , je pense que parfois, y a la vie avant la mort, mais pas toujours (rires) .. La mort, c'est la fin mais comme nous dit Sagan avec beaucoup d'humour "Heureusement, autrement les gens seraient impossible de prétention ". C'est tellement drôle. Elle dit aussi " C'est un très bon dénominateur à toutes les actions humaines". Ça relativise nos prétentions .


S.B: Voudrais-tu rajouter quelque chose de singulier sur ce spectacle, sur Françoise Sagan?

C.L : Cette heure dix, c'est comme un vertige ...Sagan traversait la vie comme cela, sur le fil du rasoir, toujours au bord du gouffre. Elle n'avait pas peur de perdre, de perdre au jeu. Cette heure dix avec elle, c'est aussi un moment où je peux donner à voir ma vulnérabilité, ma fragilité, mes doutes, mon angoisse, mon inquiétude. Ça donne une vraie force.


S.B : Un retour de spectateur qui t'a touchée?

C.L : Un des plus beaux compliments qu'on puisse me faire est venu de quelqu'un qui m'a dit "Ce spectacle, ce n'était pas du théâtre" .


S.B : Merci Caroline pour cette interview accordée à "L'Onde Bleue " autour de ce spectacle " Françoise par Sagan " .

Cette pièce est actuellement au Petit Montparnasse les vendredis et samedis à 19h, puis au Théâtre du Marais à partir du 15 janvier tous les lundis à 19h jusqu'à fin mars, et dimanche 21 janvier à 17h30 . Un double CD, édité par Frémeaux & associés dans lequel Caroline Loeb lit Sagan (le texte du spectacle + des textes sur Brigitte Bardot, Gérard Depardieu, Venise, les infirmières etc..) est disponible.

C.L: Je suis actuellement en studio pour réaliser un album dont le titre est "On ne sait jamais ce que le passé nous réserve " . Il y aura plusieurs textes de Sagan mis en musique, des chansons autour d'elle ou inspirées par elle .



Propos recueillis par Safia Bouadan /interview réalisée à "La Closerie des Lilas". Photographie noir et blanc :Richard Schroeder -d'après la même série faite avec Françoise Sagan-






Bande annonce du spectacle "Françoise par Sagan"


Dates de tournée à suivre en 2018:







































Copyright Lionel Biancafort














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