Interview des créateurs Samuel Sené et Eric Chantelauze de la pièce de théâtre musical Comédiens dans le cadre de la 2 é édition « LesTrophées de la Comédie Musicales 2018».
Questions à Samuel Sené

Source photographique Nash Pictures Photographies
1/Bonjour Samuel et merci de répondre à cette interview après le triomphe de Comédiens à la cérémonie au Théâtre des Nouveautés. Qu'est-ce que cela te fait d'avoir remporté avec ta talentueuse troupe, cinq trophées dont celui de la comédie musicale, de la mise en scène et du livret que tu as coécrit avec Eric Chantelauze mais aussi deux autres prix remis à tes artistes dont le très intense Fabien Richard, prix de l'artiste interprète masculin et la prometteuse et très douée Marion Préïté, prix de la révélation féminine?
Je suis bien évidemment très heureux, et surtout pour toute l’équipe. Pendant la cérémonie, j’avais encore plus de fierté pour les artistes, pour Marion et Fabian, que pour moi. En tant que metteur en scène, je me sens responsable pour tout le monde, tous les maillons de la chaîne constitutive d’un spectacle, et voir de la reconnaissance à tous les niveaux du spectacle me remplit de joie.
2/Tu viens du milieu de l'opéra ? Peux-tu nous raconter ton cheminement artistique jusque la création de comédie musicale et nous parler de Comédiens , de l'origine de ce long et beau travail de création?
Ma première formation est en effet la musique classique, et j’ai commencé ma carrière comme chef d’orchestre symphonique et lyrique. Mais ma formation théâtrale parallèle m’a mené très vite vers les chemins de la mise en scène. La volonté de raconter des histoires en musique, et de mettre la dramaturgie et la comédie en priorité absolue, m’ont naturellement amené vers la comédie musicale au début des années 2000, dans un monde qui était encore à ses débuts à Paris.
En 2004, j’ai mis en scène l’opéra Paillasse de Leoncavallo, et j’ai tout de suite senti que cet argument pourrait faire une comédie musicale passionnante, j’ai mis des années à mûrir ce projet et trouver le bon écrin, le théâtre de la Huchette.
3/Ta rencontre avec Eric Chantelauze et votre travail en coécriture de ce livret est aujourd'hui récompensée. Comment tout a commencé ?
J’ai d’abord rencontré Eric sur Fame, dont j’étais directeur musical – Eric interprétait le rôle du professeur de théâtre. Nos grains de folie s’accordaient plutôt pas mal, et nous avons toujours gardé contact, pressentant que nous retravaillerons ensemble. On se recontactait très régulièrement, on se tenait au courant l’un l’autre. J’ai suivi de très près la création de « La poupée sanglante », aussi au théâtre de la Huchette, et donc quand le projet de « Comédiens ! » a vu le jour au même théâtre, il était naturel de travailler avec Eric.
4/Comment as-tu recruté tes formidables acteurs ? Quels traits de personnalités et compétences particulières, recherchais-tu?
Nous avons organisé en casting car nous cherchions des comédiens spécifiques : niveau de comédie excellent, capacité à jouer le vaudeville mais aussi le réalisme sans faille – un jeu très cinématographique. Et ils devaient aussi jouer d’un instrument.
Nous avons recruté les comédiens avant de finaliser la structure de la pièce, car ce sont leurs talents et leurs instruments qui nous ont inspiré pour créer les personnages.
5/Tu mêles dans Comédiens plusieurs époques ainsi que des styles à la fois empruntés au vaudeville, au rétro d'après-guerre où se situe l'action dramatique par ailleurs, à la comédie musicale, à la comedia dell arte aussi ? Peux-tu nous dire pourquoi cette combinaison artistique pas comme les autres?
La commedia vient de l’histoire originale, de Paillasse. Et nous cherchions l’équivalent culturel français, donc le vaudeville ! Puis, le mieux était de placer directement l’action au théâtre de la Huchette, et comme nous avons créé en 2018, années des 70 ans de la Huchette, tout s’est imbriqué pour créer cette mise en abyme sur ces époques ! 1948, année de création de la Huchette, une troupe qui joue un vaudeville fin XIXème !
6/Comment ce spectacle plébiscité par la presse et couronné par les Trophées est-il reçu depuis son lancement par le public ? Quels sont leur retour?
Chaque spectacle est un miracle, mais celui là est vraiment un bonheur, car dès la première, nous avons des retours enchantés du public et une presse incroyable. Nous savourons ces moments, bien sûr… Les gens saluent la performance des acteurs, mais aussi bien sûr le retournement final, cette bascule dans le drame qui surprend toujours, et marque les esprits.
7/L'actualité de Comédiens à l'affiche au Théâtre de la Huchette jusqu'en septembre ? Une tournée pourrait-elle voir le jour?
Nous reprenons à partir de début octobre à la Huchette, et espérons durer de longs mois, et nous parlons d’un Avignon et d’une tournée, oui. Nous espérons que spectacle durera le plus longtemps possible.
8/ Si tu devais faire un vœu comme artiste et comme citoyen, quel serait-il?
Je crois énormément à la puissance de l’imaginaire, du conte, de l’histoire. La civilisation s’est formée autour des premières histoires, et depuis toujours, l’humanité se réunit autour du théâtre, du collectif, de l’histoire, et aussi du sport qui est une autre forme de communion autour d’une performance. Je fais donc le vœu que notre imaginaire continue de nous guider, que nous puissions raconter de belles histoires, et que jamais l’on n’oublie la nécessité absolue de l’art, spectacle vivant ou autre, pour la tenue de notre société.
Éric CHANTELAUZE
1/Quelle sensation ressent-on quand après le triomphe de La Poupée sanglante avec sept nominations aux Trophées de la comédie musicale, ta première co-écriture avec Samuel Sené dans ce style atypique de comédie musicale est ainsi couronnée de succès ? Les premiers mots qui te sont venus à l'esprit lors de la cérémonie quand vous avez été récompensés pour Comédiens ?

C’est vrai qu’on a été très gâté avec La poupée sanglante. L’accueil avait tellement été chaleureux de la part du public comme de la presse, que je n’osais pas imaginer qu’il le serait tout autant pour Comédiens !
La première chose qui m’a traversé l’esprit lors de cette cérémonie des Trophées, c’est un sentiment de reconnaissance.
Tout d’abord envers Franck Desmedt, le directeur de la Huchette. Franck a eu un culot monstre de nous suivre dans cette aventure. Même s’il connaissait le travail de Samuel Sené et de Raphaël Bancou et qu’il sortait de la belle aventure de La poupée avec moi, ce qu’on lui a proposé aurait effrayé la plupart des directeurs de théâtre. Il nous a fait confiance et nous a laissé travailler en toute liberté. Je me suis senti très reconnaissant également envers Samuel qui m’a proposé de travailler avec lui sur ce projet qui lui tenait à cœur depuis des années. C’était une belle marque de confiance. Reconnaissant enfin envers l’équipe artistique qui, malgré des conditions difficiles (au niveau des délais, des conditions financières, des nombreuses contraintes de ce théâtre si atypique) a toujours travaillé avec un enthousiasme et une réelle intelligence. Le travail au niveau des costumes, du décor, des chorégraphies est tout à fait remarquable.
Photo de Barbara Maud
2/Comment as-tu rencontré Samuel Sené et quelles ont été les étapes de travail ?
J’ai rencontré Samuel en 2008 sur la comédie musicale Fame. Il y était directeur musical et j’interprétais le rôle du prof de théâtre. On s’est bien entendu à cette période et j’ai depuis suivi son travail. J’avais notamment été très impressionné par sa mise en scène de La Leçon de Ionesco. Comme il avait apprécié La poupée sanglante, lorsque Franck lui a demandé une comédie musicale pour le printemps 2018, il a pensé à moi en tant que dialoguiste et parolier.
Samuel est venu avec une idée et un concept très fort. Après qu’on se soit mis d’accord sur le style que l’on voulait donner au spectacle, sur la période historique, le style musical et le genre de pièce que les personnages répètent, il m’a fourni une structure très précise. Dès lors, il m’a laissé écrire le texte avec une liberté et une confiance qui m’ont beaucoup plu. Je lui ai envoyé régulièrement des étapes de travail, je m’arrangeais le plus souvent pour le voir pour lui lire à haute voix. Il me semble qu’il est toujours plus facile de se rendre compte si un texte est vivant lorsqu’on l’entend joué, plus que lorsqu’on le lit seul. Son souci systématique de la cohérence m’a permis d’éviter le plus possible les pièges de la complaisance, de la phrase jolie mais inutile.
D’autre part, il a tenu à ce que les auditions aient lieu avant l’écriture, j’ai donc su pour qui j’écrivais et, comme je l’ai dit lors de la cérémonie des Trophées, savoir qu’on écrit pour Marion Préïté, Fabian Richard et Cyril Romoli rend les choses beaucoup plus faciles…
3/ Tu as par ailleurs écrit les chansons de ce livret. Avais-tu déjà collaboré avec Raphaël Bancou, créateur de la musique du livret. As-tu travaillé à partir de sa musique ou inversement tes textes ont-ils inspiré la création musicale ou alors travailliez-vous au piano les titres ensemble ?
Je n’avais jamais travaillé avec Raphaël, mais j’appréciais beaucoup sa musique. Le travail avec lui a été une vraie nouveauté pour moi et encore une fois, un bel espace de liberté et de confiance.
Contrairement à La poupée sanglante où les chansons font réellement avancer l’histoire et doivent donc être à la fois sensibles et informatives, les chansons de Comédiens ! sont plus des numéros. À l’exception du solo de Pierre face à son miroir, (et de la chanson improvisée par Guy au début), il n’y a aucune chanson qui ne soient pas tirées d’un spectacle fictif, que ce soit Jacques et Lola , Au diable vauvert ou Othello . Ce n’était donc pas du tout les mêmes contraintes que lorsque j’avais travaillé avec le compositeur Didier Bailly pour La poupée. Cependant au début, j’avais ce réflexe de beaucoup fournir en terme de texte et très vite, Raphaël m’a dit que je lui en donnais beaucoup trop ! On est vite parvenu à travailler avec une profonde confiance mutuelle. Il m’envoyait des vidéos du style musical qu’il imaginait pour telle ou telle chanson et je lui envoyais mes textes, persuadé qu’il allait les faire sonner de manière moderne et élégante. Parfois, il m’envoyait des bribes de musiques qui me donnaient une piste ou un début de cadre, d’autres fois, c’est moi qui lui envoyais quelques phrases et il improvisait dessus. (C’est notamment lui qui a eu l’idée de la scansion schizophrénique du personnage de Pierre devant son miroir.) J’ai adoré travailler avec lui.
4/ Quels sont tes auteurs littéraires préférés et pourquoi ? Et pour le théâtre et la comédie musicale ?
Mes auteurs de prédilection sont des stylistes. Louis-Ferdinand Céline, Marcel Proust, Guy de Maupassant. J’aime aussi la littérature américaine, notamment Richard Brautigan qui est à la fois romancier et poète. Chez les auteurs vivants, j’adore Jean-Philippe Toussaint.
Au théâtre, Shakespeare évidemment, Koltès aussi bien sûr.
En ce qui concerne la comédie musicale, je n’ai pas une grande culture. J’adore Michel Legrand et Jacques Demy, évidemment, et bien sûr Sondheim (Company est une merveille). Pour combler mes lacunes, Didier Bailly me fait régulièrement découvrir les grands classiques des années 50, 60, les grands duos d’auteurs et compositeurs.
5/ Tout comme Samuel Sené, tu es pluridisciplinaire -auteur, parolier, acteur, créateur de spectacles musicaux et réalisateur aussi-, as-tu une préférence dans tes métiers artistiques, un violon d'Ingres ?
Je n’ai pas de préférence. Le plaisir de l’écriture est un plaisir calme, intime. J’ai toujours écrit, que ce soit des pièces de théâtre, des nouvelles ou des chansons. J’aime ces instants de créations où l’on se met en retrait. Mais j’adore jouer pour les raisons inverses. Puisqu’il s’agit de s’exposer et d’être en lien direct avec ses partenaires et le public. Pour l’instant, j’arrive à faire les deux de front et dans des spectacles qui me rendent très heureux !
6/ Si tu devais faire un vœu comme artiste et comme citoyen, quel serait-il ?
Comme artiste, j’espère avoir la chance de continuer à avoir envie. D’écrire et de jouer. Que mes projets soient toujours portés par un réel désir de raconter une histoire.
En tant que citoyen, j’ai l’impression qu’Internet, malgré ses dérives (la violence et la bêtise qui polluent cet espace de partage), est de plus en plus une source d’informations et de réflexions, qu’il y est né de nombreuses prises de conscience des gens et un sentiment d’unité et de force que les politiques ne peuvent plus ignorer à présent. Je souhaite que ce mouvement d’intelligence et de pensée continue.
Interview réalisée par Safia Bouadan.