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INTERVIEW de Léonard Matton pour sa création et l'adaptation de "Henri IV" de Luigi Pirandello.


1/Bonjour Léonard, peux-tu te présenter auprès de nos lecteurs ?

Je suis metteur en scène et en espaces, auteur mais surtout adaptateur. Je suis le fils d’un artiste qui construisait des mondes tridimensionnels où le regard du spectateur se perdait. Je m’anime avec les textes qui permettent de faire la même chose au plateau et avec les mots. Hamlet, dernièrement, m’a permis de faire cela en grand format : créer un spectacle pour 7 espaces, ouvrir quelques mois le premier lieu dédié aux spectacles immersifs, Le Secret, et jouer « Helsingør » de la friche jusqu’au château de Vincennes. 2/Peux-tu nous parler de l'adaptation de la pièce de théâtre Henri IV de Luigi Pirandello actuellement à l'affiche au Th des Béliers Parisiens?

Je crois que je monterai cette pièce plusieurs fois dans ma vie, car je n’en ai pas encore exploré tous les double, triple et quadruple fonds. Cette version est une esquisse en quelque sorte. C’est même présenté comme tel. C’est la mise en scène d’une mise en scène dont la première doit avoir lieu la semaine prochaine. C’est le premier filage en public, et rien n’est figé, ni le sens ni la forme. Évidemment c’est faux puisque tout est millimétré. Ou presque. Certains moments dépendent entièrement du public en général et de certain.e.s spectateur.rice.s en particulier. C’est peu clair ? C’est normal. C’est une enquête menée par une psychiatre sur les raisons de la folie d’un homme, sinon. 3/ Comment as -tu entrepris ce challenge, peux-tu nous parler de ses étapes de création

( l'adaptation, le casting, la mise en scène) et bien sûr, la production?

C’est un coup de cœur de sortie de Covid : une jeune troupe bourrée de talent. Un peu de folie ambiante. Un texte qui est tout aussi fou. Pas d’argent. Beaucoup de créativité. Le soutien de Raymond Acquaviva et du Théâtre des Béliers. Le public au rendez-vous qui adore entendre les sublimes didascalies de Pirandello dites comme des commentaires par des actrices dans la salle et être caressé par des acteurs. On a quelques problèmes avec les comédiens qui sont devenus un peu timbrés, mais normalement tout devrait bien se terminer… avant, j’espère, une reprise. 4/ Après le succès d'Helsingor, on reconnait bien ta signature dans ce nouveau spectacle décalé et immersif. Qu'est-ce qui t'a séduit dans ce travail d'adaptation et de mise en scène ? Pourquoi le choix de cette pièce de théâtre Henri IV du grand dramaturge Luigi Pirandello?

J’ai aimé cette troupe pour la complémentarité des styles de jeu. J’ai cherché un texte leur correspondant. Et j’ai lu Pirandello dont je n’avais lu que trois ou quatre pièces. J’ai commencé la Pléiade et, au bout du tome 1, j’ai arrêté : j’avais trouvé la pièce idéale. Il fallait deux énormes décors de château et des interprètes de 45 ans en moyenne… J’avais une troupe de vingt ans de moins et ni le temps ni le désir de monter une production : c’était parfait ! C’est vrai qu’après « Hamlet », il y a une continuité. Mais il y en a aussi une avec ma prochaine création, « HPNS », qui sera créée à la Maison de Nevers en novembre 2022 puis jouée à la Reine Blanche en février 2023. Ce sera l’histoire du créateur du premier marché noir sur le darknet. Un garçon qui se prend pour un pirate et qui, de derrière son écran, devient un fou dangereux… pour lui-même. 5/ Quelles sont les difficultés rencontrés artistiques, techniques ou de production qui plus est face à ce contexte de crise sanitaire ?

Les resserrements des cordons de la bourse sont difficiles, que ce soit celle des pouvoirs publics ou celle du public. Le Covid a acté une tendance qui me semblait évidente : il faut proposer des formes qui rivalisent au niveau « présentiel » avec les nouvelles technologies. En 2018 et 2019, mais aussi en 2021, le succès de « Helsingør » m’a prouvé que le public peut vouloir sortir de chez lui, se retrouver en communauté, payer un tarif raisonnable au regard de l’expérience proposée. Mais il faut pour cela proposer une alternative valable à Netflix ou Disney+. Pas des pièces qui, incessamment, se ressemblent. J’aime aussi le principe de la VR et du Metaverse, cependant rien de tel que le contact humain. Mais je ne dis pas ça comme un argument de communication : dans ce que je fais, les interprètes touchent vraiment le public, l’obligent vraiment à bouger, la tête ou le corps entier. 6/ Quel est le sens révélé ou caché de cette oeuvre de Pirandello écrite en 1922 après Six personnages en quête d'auteurs ?

Il y en a trop dans cette pièce pour répondre. Henri IV dit cette phrase : « J’ai préféré rester fou. » Peut-être a-t-il raison de rester dans l’illusion. Je ne suis pas certain qu’il faille voir une prémonition de la montée du fascisme par exemple. D’ailleurs Pirandello a été trompé un temps et fasciné par Mussolini avant de revenir à la réalité. Je crois seulement que Pirandello est un génie littéraire au même titre que Picasso pour la peinture. Il est pour moi le verso d’un Shakespeare. Chez Shakespeare, le personnage pense ce qu’il dit et dit ce qu’il pense. Pour bien le jouer, il faut travailler tout ce qu’il ne dit pas. Chez Pirandello, le personnage verbalise tout ce qu’il ne sait pas. Et en premier lieu, il ne sait pas s’il est un personnage en train de jouer une scène dans un théâtre devant un public. Toute bonne pièce contient cela mais lui ose l’écrire et en faire un principe narratif. 7/ Quel est celui que tu veux faire passer à ton niveau dans notre propre temporalité et société moderne? Bergman disait : « Les mots sont des masques ». Je veux que l’on redonne des couleurs aux masques. La pièce mêle l’épique tragique au drame psychanalytique et à la farce bouffonne. On ne sait jamais où on est… sauf qu’on est certain d’être au théâtre. 8/Le retour du public et de la presse?

Les réactions ont prouvé que ma réponse précédente est un sentiment partagé. Les critiques professionnelles ont été excellentes. Quelques spectateur.rice.s ont détesté ne pas être observateur.rice.s, face à une diégèse, incarnée sur une scène coupée de la salle. Mais je comprends. Toutefois l’immense majorité, jeune surtout mais pas seulement, n’a eu de cesse de m’inciter à ajouter du metatheâtral : des interventions dans le public, des interruptions, du capharnaüm… La pièce évolue en cela à chaque représentation avec les interprètes qui osent découvrir un rapport populaire au public, comme au Globe. C’est comme pour « Helsingør » où le public a en moyenne trente ans. Ça donne espoir. 9/ Quels sont tes projets en cours et à venir ?

J’ai parlé de « HPNS » plus haut. Actuellement je vais faire quelque chose qui mélange le ludique et l’artistique avec le patrimoine : sur la Tour Eiffel. Ensuite, on verra bien mais il y a quelques projets immersifs dans les tiroirs, grâce aux confinements. 10/ Le mot de la fin ou du recommencement?

C’est une bonne question en cette semaine de deuxième tour de l’élection présidentielle… la fin ou le recommencement ? J’ai donné une devise à ma compagnie, qui est « hic nunc et alibi », qui signifie « ici maintenant et ailleurs ». Essayons à notre mesure de mettre un peu d’ailleurs dans tout ça.


Propos recueillis par Safia Bouadan

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