Sur un texte de Michel Marc Bouchard,« Tom à la ferme » de Ladislas Chollat

« Tom à la ferme » … Tom, ferme la ou gare à toi!!!
Cette œuvre axée sur la destinée tragique de la vie d’un jeune adulte homosexuel a été écrite en 2011 par Michel Marc Bouchard, auteur québécois né en 1958. Elle est ici brillamment pensée et mise en scène de manière magistrale par Ladislas Chollat. Tout y est mûrement réfléchi pour que le spectateur soit capté par le sujet dramatique et qu’il n’en sorte pas indemne : tant sur le plan du décor et de la scénographie d’Emmanuelle Roy, que sur celui de la distribution qui est parfaite, ou encore par le choix de la direction d’acteurs, de la musique fascinante de WoodKid. Citons aussi la grille lumière superbe d’Alban Sauvé ou la création costumes bien imaginé de Doby Broda et Christiane Cholat. Tout contribue ici à « impacter » sur le public…C’est un vrai coup de poing dans l’estomac que chacun reçoit dans la salle du Théâtre Le Chêne Noir!
Cette pièce tragique au combien est un véritable plébiscite pour l’humanité, pour le droit de vivre sa sexualité mais aussi pour le droit au deuil dont beaucoup dans le monde est encore privé pour de nombreuses raisons liées la plupart au secret , à la peur que surgisse une vérité que l’on veut garder cachée, ou encore dues aux génocides, aux guerres ou aux catastrophes naturelles.
Même si mourir est un déterminisme biologique qui frappe chacun d’entre nous, vivre et aimer, aimer et vivre quelque soit son appartenance sexuelle ou culturelle est un droit naturel et consacré voire sacré. Hélas, « Tom à la ferme » -titre faussement naïf et ironique- nous rappelle cruellement cette réalité prégnante où dans nos sociétés dites avancées, chacun peut glisser vers le crime et préserver le secret d’un acte privé ou collectif de torture, ne pas en être inquiété ou si peu, au nom de la préservation et d’une loi morale-laquelle ?- ou par la voie du silence …
En effet, combien d’actes criminels ou de tortures de nos jours sont encore commis au nom de la loi étatique ou religieuse ou de la discrimination positive ? Ces actions sont engendrées par la guerre, la dictature mais plus grave encore par le fanatisme, guidées par l’extrémisme et pratiquées par un individu isolé ou par un groupe organisé.
Ici l’auteur pose la question : qu’en est –il d’un acte criminel gouverné par la seule peur de voir révéler un terrible secret, guidé par l’absurdité, la violence et l’ignorance, par le conservatisme, les traditions ancestrales et par les dogmes religieux? Existe t-il alors des lois exerçant un vrai pouvoir dissuasif dans la gouvernance nationale ou internationale actuelle pour éviter le pire ? Celle-ci a t-elle les moyens de faire évoluer les mentalités et se les donne-elle vraiment ? Jusqu’à quel point la loi peut-elle laisser faire ?
Cette pièce « Prix de la dramaturgie francophone de la Sacd 2011 », résonne ainsi pour nous comme un triste rappel de l’actualité récente dans la vie politique française où des personnalités publiques et des citoyens élus par le peuple se sont donnés le droit d’agir contre les lois républicaines par la désobéissance civile et civique en livrant une véritable propagande politique et sociale.
Pourquoi, oui pourquoi à notre époque existe-t-il des actes barbares ou barbarisés perpétrés contre l’homosexualité, pourquoi l’homophobie reste t-il encore un mot qui se conjugue au présent voire au futur ? Michel Marc Bouchard, auteur québécois reconnu et traduit en plusieurs langues, pose ici la question et y répond :
« Avant d’apprendre à aimer,
les homosexuels apprennent à mentir….Nous sommes des mythomanes courageux »
Lorsque l’on voit cette pièce, véritable tragédie rurale pour Ladislas Chollat, on est en devoir de se demander si sous la puissance d’une dictature silencieuse, familiale ou sociale, on ne deviendrait pas un autre rattrappé par le Mal? L’emprise d’une autorité cruelle et dominante, comme celle dont est victime le jeune Tom endeuillé et prisonnier de son isolement est tellement forte qu’il accepte sa chosification allant jusqu’à accepter le bourreau. Assis soi même sur une chaise électrique, serions nous capables de faire n’importe quoi pour préserver notre vie ? Ou bien pire encore, si un jour, les évènements nous poussaient à se livrer à un acte barbare, comme « La Bête humaine » potentielle qui sommeillerait en nous, celle décrite par Emile Zola ? Cela nous glace de le penser mais cette histoire dramatique où les mots sont donnés et reçus comme autant de gifles peut encore faire résonnance à nos faits divers les plus récents.
Cette œuvre de l’auteur québécois aux multiples récompenses montre comment, perdu dans une zone rurale, un jeune homosexuel promis à un avenir de cadre publicitaire, Tom-magnifique prestation de Christophe d’Esposti-se trouve aux prises d’un tortionnaire, Francis, le propre frère de son amant décédé qui justifie ces actes par le fait de vouloir préserver sa mère, Agathe-Raphaëline Goupilleau toujours exceptionnelle et drôle-. C’est le récit des méandres d’une relation entre une victime et son bourreau, entre les membres d’une famille reclus dans le mensonge et rendus sauvages par la rudesse de la vie rurale. Mais l’histoire ne fait que commencer…
« Tom à la ferme » est un « texte- vérité » soutenu par une mise en scène puissante et sans temps mort mais où la mort rode à chaque instant …
Certainement une des pièces « Coup de cœur du festival off 2013 ».
Didier Clusel et Safia Bouadan
Avec
Auteur :Michel Marc Bouchard
Mise en scène :Ladislas Chollat
Raphaëline Goupilleau : la mère
Christophe d’Esposti :Tom
Daniel San Pedro : Francis
Elsa Rozenknop: Sarah
Décor : Emmanuelle Roy
Lumières: Alban Sauvé
Costumes :Doby Broda et Christiane Chollat
Production : Théâtre de l’Héliotrope et Monsieur Max Production
Co-réalisation :Théâtre Le Chêne Noir


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